Il y a quelques jours encore, l’idée la plus communément admise était que l’on ne trouverait guère d’hydrogène naturel près de la surface de la Terre. En effet, l’hydrogène nécessite des conditions géologiques beaucoup plus spécifiques que le pétrole ou le gaz naturel pour apparaître à l’état naturel. Et lorsqu’il apparaît, il est consommé par les micro-organismes du sous-sol.
Selon les derniers modèles, nous nous sommes lourdement trompés. Les géologues pensent aujourd’hui que l’hydrogène est présent naturellement en grande quantité dans le sous-sol, notamment lorsque certains minéraux riches en fer réagissent avec l’eau. Cet hydrogène peut être trouvé, extrait et utilisé comme réserve d’énergie propre si nous cherchons aux bons endroits, avec les bons outils.
Les couleurs de l’hydrogène
L’hydrogène est l’élément le plus commun, le plus simple et le plus léger de l’univers. Malgré son abondance, il n’est généralement pas obtenu directement, en raison de sa grande réactivité : il a tendance à se combiner avec d’autres éléments pour former des composés tels que l’eau (hydrogène et oxygène), les hydrocarbures (hydrogène et carbone) et d’autres composés organiques et inorganiques.
Contrairement au charbon, au pétrole, à la lumière du soleil ou à l’énergie nucléaire, l’hydrogène n’est pas utilisé comme source d’énergie en soi, mais pour stocker, transporter et libérer de l’énergie d’une manière contrôlable et utilisable. C’est pourquoi on dit qu’il est un vecteur d’énergie.
Dans un contexte de recherche effrénée d’énergies alternatives, l’hydrogène est extrait de multiples façons, certaines plus propres que d’autres. Il est donc classé par couleur, en fonction de la matière première dont il est issu et des émissions de dioxyde de carbone liées à son extraction. Du plus polluant au plus durable :
- Hydrogène noir ou brun : extrait par gazéification du charbon, un processus qui transforme le charbon solide (généralement la houille et le lignite) en un gaz riche en hydrogène et en monoxyde de carbone.
- Hydrogène gris : extrait par reformage du gaz naturel, un processus qui transforme le méthane et la vapeur d’eau du combustible fossile en hydrogène et en dioxyde de carbone.
- Hydrogène jaune : extrait de l’eau par électrolyse, un processus qui la décompose en oxygène et en hydrogène, en utilisant l’électricité du réseau.
- Hydrogène bleu : extrait du gaz naturel, mais contrairement à l’hydrogène gris, le CO2 généré au cours du processus est capturé, utilisé et stocké au lieu d’être rejeté dans l’atmosphère.
- L’hydrogène turquoise est également extrait du gaz naturel, mais par un processus connu sous le nom de pyrolyse du méthane, qui décompose le méthane en hydrogène et en carbone solide au lieu du CO2, évitant ainsi l’émission de ce gaz à effet de serre.
- Hydrogène rose : extrait de l’eau par électrolyse, mais contrairement à l’hydrogène jaune, il utilise de l’électricité d’origine nucléaire, ce qui lui confère une faible teneur en carbone.
Hydrogène vert : également extrait de l’eau par électrolyse, mais contrairement à l’hydrogène rose, il utilise de l’électricité provenant de sources renouvelables (énergie solaire, éolienne ou hydroélectrique), il est donc à faible teneur en carbone et ne produit pas de déchets radioactifs. - Le type d’hydrogène le plus courant et le moins cher est l’hydrogène gris, mais le monde évolue vers l’hydrogène vert. C’est le grand pari de l’Union européenne, l’Espagne étant à la pointe de sa production. Nous avons besoin de l’hydrogène vert pour laisser le gaz naturel derrière nous, mais il y a un problème : il est huit fois plus cher.
Une nouvelle couleur est en train de naître
Une couleur manque à la liste ci-dessus :
L’hydrogène blanc ou doré : il s’agit de l’hydrogène libre dans la nature, formé par certains processus naturels, tels que la réaction de l’eau aux processus de serpentinisation des roches de la croûte océanique, la décomposition de certaines roches sédimentaires contenant du fer, l’électrolyse naturelle (appelée radiolyse) et le dégazage du manteau terrestre.
Jusqu’à présent, on pensait que l’hydrogène naturel était extrêmement rare. On savait qu’il pouvait se trouver non dissous dans certaines formations géologiques, mais on s’attendait à ce que les quantités soient minimes. De plus, le processus d’extraction était trop complexe et trop coûteux pour en valoir la peine.
Aujourd’hui, l’US Geological Survey (USGS) prévoit qu’il y a jusqu’à cinq mille milliards de tonnes d’hydrogène naturel dans la croûte terrestre. La demande mondiale d’hydrogène étant estimée à 500 millions de tonnes par an, il y a suffisamment d’hydrogène naturel dans le sol pour couvrir des milliers d’années de demande, selon Science.
Mais il y a un hic : la plupart de ces réserves sont probablement inaccessibles. Toutefois, une petite partie pourrait être une excuse suffisante pour déclencher une ruée vers l’hydrogène blanc, qui est plus propre que l’hydrogène bleu et moins cher que l’hydrogène vert.
L’avenir de l’industrie automobile réside dans ce moteur à hydrogène de plus de 400 ch de puissance
Du Mali au premier puits européen en Espagne
Les chercheurs pensent que nous commencerons par extraire l’hydrogène naturel des accumulations peu profondes : des couches imperméables de roches riches en fer situées à un ou deux kilomètres sous la surface.
Nous pourrions injecter de l’eau dans la roche pour stimuler la production. Tout en collectant l’hydrogène, nous pourrions exploiter l’énergie géothermique de l’eau chauffée qui remonte à la surface. Et si le dioxyde de carbone se dissout dans l’eau injectée, il pourrait réagir avec le magnésium et le calcium des roches riches en fer et être piégé de manière permanente sous forme de calcaire. C’est du deux pour un : produire de l’hydrogène et capturer du CO2 en même temps.
L’Australie-Méridionale est un endroit idéal pour étudier la question. L’État est situé sur un bloc de croûte cratérisée connu sous le nom de craton de Gawler, dont les mines de fer et d’uranium pourraient fournir les roches nécessaires à la serpentinisation de l’hydrogène et à la radiolyse.
D’autres découvertes peuvent être fortuites. À Bourakébougou, un village du Mali, ils ont foré un puits d’eau et un gaz mystérieux a commencé à émaner. Ils se trouvaient sur une mine contenant entre 46 et 260 millions de tonnes d’hydrogène blanc. En Lorraine, en France, alors qu’ils cherchaient du méthane, ils ont trouvé une grande poche d’hydrogène naturel qui pourrait être transformée en un puits plus rentable.
Une entreprise espagnole veut prendre de l’avance. Au pied des Pyrénées se trouvent des roches marines riches en fer qui ont été soulevées lorsque la plaque ibérique est entrée en collision avec la France, fermant l’océan qui les séparait il y a 65 millions d’années. Helios Aragon (filiale de British Petroleum et d’Axion) pense que les failles de la région canalisent l’hydrogène des profondeurs dans une couche peu profonde de grès poreux recouverte de schiste dense.
Helios veut commencer à prospecter cette année pour extraire de l’hydrogène à partir de 2029, à condition que la prétendue poche de gaz qu’elle recherche existe. Le projet s’appuie sur un forage réalisé en 1963 qui a permis de trouver de l’hydrogène naturel à Monzón (Huesca). L’Empresa Nacional de Petróleos de Aragón était sur la piste du pétrole brut lorsqu’elle a trouvé de l’hydrogène blanc à une profondeur de 3,7 kilomètres.
Helios prévoit de réaliser un forage profond entre l’autoroute A-22 et la voie ferrée Saragosse-Lérida, dans les alluvions de la rivière Cinca, mais ne dispose pas d’autorisation environnementale. L’entreprise a obtenu un permis de recherche d’hydrocarbures en 2020. Cependant, la loi sur le climat de 2021 a interdit cette activité.
La prudence semble être une bonne façon d’aborder cette question. L’accès à l’hydrogène géologique pourrait nécessiter la fracturation de couches rocheuses, à l’instar de la méthode controversée du “fracking”. Néanmoins, Helios s’attend à ce que les réglementations minières “rattrapent leur retard” et couvrent l’exploitation de l’hydrogène à partir de 2024.
Ian Munro, PDG de l’entreprise, estime qu’une fois l’aspect juridique résolu, le puits de Monzón sera le premier à produire de l’hydrogène naturel en Europe. Helios investira 900 millions d’euros et espère atteindre le seuil de rentabilité à partir de 60 centimes par kilogramme. L’hydrogène vert coûte plus de 2 euros par kilo.