“Alors que la Chine planifie et que les รtats-Unis stimulent, l’Europe ne fait que rรฉglementer”, peut-on lire dans une lettre envoyรฉe hier par Luca de Meo, PDG du groupe Renault, appelant ร une “industrie automobile durable, inclusive et compรฉtitive”.
Cette lettre intervient alors que les รฉlections europรฉennes doivent avoir lieu en juin, mรชme si Luca de Meo affirme que son objectif n’est pas de “faire de la politique, mais d’aider ร choisir celle qui nous permettra de relever les dรฉfis technologiques et gรฉopolitiques du moment”.
Les enjeux. L’industrie automobile reprรฉsente 13 millions d’emplois dans la rรฉgion. Elle reprรฉsente รฉgalement 8 % du produit national brut, 392 milliards d’euros d’impรดts par an et 102 milliards d’euros d’excรฉdent commercial. Sans ce secteur, l’Europe serait distancรฉe dans la course ร l’innovation : “Le pourcentage consacrรฉ ร la R&D&I tomberait en dessous de 2 %, contre 3,4 % aux รtats-Unis, une diffรฉrence abyssale”, souligne M. De Meo.
Et ce, dans l’environnement le plus exigeant qui soit. D’une part, les changements dรฉmographiques et sociaux, les diverses crises d’approvisionnement et les augmentations de prix ont rรฉduit les enregistrements dans l’UE de 13,5 millions en 2019 ร 9,5 millions en 2023. En outre, les nouvelles exigences en matiรจre de sรฉcuritรฉ et d’environnement ont frappรฉ de plein fouet les modรจles plus petits et plus abordables, dont la demande a chutรฉ de 40 % en 20 ans.
D’autre part, le centre de gravitรฉ s’est dรฉplacรฉ vers l’Asie, oรน se vendent 52 % des vรฉhicules dans le monde, contre 23,7 % en Amรฉrique et 19,5 % en Europe. Une prรฉdominance trรจs marquรฉe dans le cas de la Chine et notamment des modรจles rechargeables, qui reprรฉsenteront 60 % du total en 2023 (8,5 millions). Mรชme si elle s’est aussi concentrรฉe sur le Vieux Continent, avec une part de prรจs de 4 % sur ce segment. C’est peu, certes, mais quand deux seulement avec un certain volume (BYD et, surtout, MG) ont dรฉbarquรฉ.
Entre-temps, l’Europe se donne ร fond. Par exemple, l’UE sera la premiรจre rรฉgion ร interdire la vente de voitures ร combustion en 2035, mรชme si l’objectif sera revu en 2027 et que les carburants synthรฉtiques seront autorisรฉs. Au cas oรน, l’industrie a dรฉjร engagรฉ 252 milliards d’euros d’investissements dans des modรจles ร zรฉro รฉmission pour lesquels la demande ne croรฎt pas au mรชme rythme qu’auparavant, ou suscite des doutes.
En janvier, sa part dans l’UE รฉtait de 10,9 %, soit prรจs de quatre points de moins qu’en 2023. Ford a dรฉjร suspendu son programme d’รฉlectrification et Audi a annoncรฉ hier qu’elle lancerait de nouveaux modรจles ร combustion au-delร de l’รฉchรฉance de 2026 qu’elle s’รฉtait fixรฉe. Elle ne sera pas la seule ร revoir sa planification ร cet รฉgard.
En outre, il a fallu le soutien et l’aide de l’industrie pour assouplir la norme d’รฉmission Euro 7 pour les nouveaux vรฉhicules ร combustion qui seront vendus ร partir de 2027, huit ans seulement avant l’interdiction de commercialisation. Il n’a pas non plus รฉtรฉ facile pour Bruxelles de rรฉpondre ร la menace des importations croissantes de vรฉhicules รฉlectriques chinois.
ร l’automne dernier, la Commission a annoncรฉ l’ouverture d’une enquรชte sur d’รฉventuelles subventions publiques accordรฉes ร ces vรฉhicules pour les rendre “artificiellement moins chers” (jusqu’ร 20 %) sur un marchรฉ qui est le plus rentable au monde. Au dรฉbut du mois, elle a dรฉclarรฉ qu’elle disposait de preuves de l’existence de diverses subventions et qu’ร partir de juillet, des droits de douane pourraient รชtre appliquรฉs.
Mรชme si le mot protectionnisme est presque mis au placard. Seul Elon Musk (Tesla) soutient que “sans barriรจres commerciales, les marques chinoises feront exploser les autres”. Carlos Tavares, PDG de Stellantis, est passรฉ de “l’Europe leur tire le tapis sous les pieds” ร la crรฉation d’une coentreprise avec l’un d’entre eux, Leap Motors. Et l’Allemagne y a trop d’ลufs (33% de ses ventes dans le cas de Volkswagen). Au contraire, des formules ont รฉmergรฉ, comme celle de la France, qui exclut les voitures รฉlectriques ร forte empreinte carbone des aides ร l’achat.
Selon M. De Meo, “nous devons discuter avec eux, car fermer complรจtement la porte serait la pire des rรฉponses”. Il a raison : la Chine contrรดle 75% des capacitรฉs de production de batteries, 80% ร 90% du raffinage des matรฉriaux et 50% de l’extraction des mรฉtaux rares. Ceci, aprรจs le pari dรฉjร fait par son gouvernement en 2012, mais en couvrant toute la chaรฎne de valeur de ces vรฉhicules, qui bรฉnรฉficient d’une main d’ลuvre 40% moins chรจre ; ou d’une รฉnergie qui coรปte deux fois moins cher qu’en Europe.
Aux Etats-Unis, c’est trois fois moins, mais, au cas oรน, ils ont adoptรฉ en 2022 l’IRA Act, dotรฉ de 387 milliards pour promouvoir les investissements verts ou les aides aux voitures ร batterie, ร condition qu’elles soient assemblรฉes sur place. Cette politique a dรฉjร attirรฉ certaines usines de batteries et, en janvier dernier, l’UE a approuvรฉ, pour la premiรจre fois, une aide destinรฉe ร empรชcher la fuite de l’un de ces projets.
La feuille de route du PDG de Renault comprend la dรฉfinition d’une stratรฉgie industrielle europรฉenne, dont l’automobile est l’un des piliers ; l’adoption d’une approche horizontale qui ne prend pas seulement en compte le produit final (la voiture) ; la reconstruction des capacitรฉs d’approvisionnement en matiรจres premiรจres, ou l’attribution d’une part d’รฉnergie bon marchรฉ et ร faible teneur en carbone ร l’industrie automobile. Et, bien sรปr, mettre fin ร l’anxiรฉtรฉ rรฉglementaire : jusqu’en 2030, huit ร dix nouvelles rรฉglementations liรฉes ร l’automobile sont prรฉvues chaque annรฉe.
L’idรฉe est de crรฉer un modรจle hybride d’abord “pour la dรฉfense et ensuite pour conquรฉrir les marchรฉs mondiaux”. Il appelle รฉgalement ร la neutralitรฉ technologique et scientifique. En d’autres termes, les objectifs peuvent รชtre dictรฉs, mais pas la maniรจre de les atteindre.
Plus concrรจtement, il propose 10 grands projets stratรฉgiques : promouvoir les petites voitures et partager les coรปts du dรฉveloppement virtuel et de ce qui est “cachรฉ” ; rรฉvolutionner la livraison du dernier kilomรจtre, dรฉvelopper les infrastructures de recharge et la technologie V2G, accroรฎtre la compรฉtitivitรฉ de l’Europe dans les semi-conducteurs, etc. “La transition verte est un sport d’รฉquipe”, a dรฉclarรฉ M. De Meo, qui s’est engagรฉ en faveur des partenariats public-privรฉ. “Avec Airbus, nous avons dรฉjร vu ce que l’Europe peut faire.